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Jhon Pi écrivain

Le maître des voix

25 Février 2012 , Rédigé par djeanpi Publié dans #le maitre des voix

Baruch dormait encore quand Rahéla se glissa au dehors. Le vent était tombé lui aussi. Le long de la plage elle croisa des patrouilles qui la saluèrent. Un navire de commerce s’était échoué comme d’habitude. Avec la barrière de corail qui effleurait à peine il y avait de quoi faire pour les  naufrageurs. Tant pis pour les quelques barges qui finissaient sur la plage à moitié éventrées. Les naufrageurs se faisaient alors charognards

Il en courrait des légendes sur leur compte, légendes qu’ils enjolivaient eux mêmes et que le soleil noir enflait à son tour pensant les discréditer aux yeux du peuple. Les rumeurs les plus folles ne faisaient que renforcer chaque jour davantage la peur que les naufrageurs  inspiraient. Les rumeurs n’étaient pas toutes infondées. Je puis vous garantir pour les avoir côtoyés que ces gaillards là avaient des gueules à faire peur. Quand on les voyait se faufiler le long des falaises ou disparaître dans les forêts sombres, les naufrageurs  pouvaient inspirer la crainte. Quand on approchait de trop près les lames acérées de leurs épées et de leurs sabres, il valait mieux s’éloigner. Quand à la limite de leur misérable royaume, on voyait ça et là les « kernes de la mort », le spectacle de ces crânes transpercés faisait frissonner le meilleur des soldats. Et puis, il fallait compter avec cette odeur de chair en lambeaux.

Et pourtant, il n’y avait là que connaissance du pays et des chemins secrets, goût de la mise en scène, armes d’un autre âge. Quand aux « kernes de la mort » qui terrifiaient de moins en moins les soldats de l’impérator, ils étaient le résultat d’un art du maquillage digne des plus grands. Tous les jours, au campement, on fabriquait une mixture dont « la mère » avait seule, le secret. Une mixture que l’on répandait ensuite sur les restes des soldats ennemis qu’on avait pu entreposer dans une des cavernes. La plus profonde et la plus froide. Le tour était joué. Il suffisait alors de traîner ces pauvres bougres raidis par le froid et de les disposer de telle façon à ce qu’ils se figent dans des postures d’épouvante. Les plus aguerris des naufrageurs n’hésitaient pas à leur ouvrir la bouche, à leur casser ici ou là quelques dents, à rider davantage la peau encore un peu raide et que la mixture de la mère rendait malléable. Du moins le temps de les installer. Passées quelques minutes, il était alors impossible de les toucher sans qu’ils tombent en poussière.

Quand le commandement des naufrageurs lui en laissait le loisir, « la mère » aimait à se tenir à l’écart, tout en haut des falaises du « ventre des abîmes ». Elle se mettait alors à ce qui lui servait de bureau : une grosse planche rugueuse, comme elle. Depuis peu, elle s’était mise en tête de raconter l’histoire de son peuple. Dans le dernier pillage on avait trouvé livres et feuillets. Après avoir échauffé ses mains froides, elle trempa la plume dans l’encre noire.

« Les naufrageurs ! On nous appelle ainsi mais c’est nous qui sommes naufragés….

La mère semblait satisfaite de son entame. La plume traîna un peu dans le vide. Perdue dans ses pensées elle n’avait pas vu Rahéla s’asseoir derrière elle :

-          Qu’est ce que tu fous là ?

-          Si tu savais ce que je viens de voir en revenant au camp.

-          Qu’y a-t-il encore ?

-          Une boule de feu, j’te jure

« La mère » referma à regret son livre, enfila ses longs gants de cuir noir. Chacun sut alors que l’on allait partir.

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